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Pour sauver l’eau, buvez de la bière ?

Sauver l’eau, buvez de la bière ! Cette phrase fait aujourd’hui partie de ces gimicks humoristiques célèbres, au même titre que Keep calm and drink beer, par exemple. Pour autant cette maxime véhicule une idée fausse : la bière serait économe en eau. En réalité, c’est tout l’inverse. II faut en effet des dizaines, voire des centaines de litres d’eau pour produire… un seul litre de bière. Des chiffres qui posent une question : la réduction de son empreinte eau, puisque c’est ainsi qu’on la nomme, n’est-elle pas le véritable défi des brasseries contemporaines ? 

Quels sont les postes de dépense en eau pour produire une bière ? 

Pour brasser une bière, il faut de l’eau. Beaucoup d’eau même, puisqu’une bière en comporte environ 95%. Pour calculer le volume d’eau présent dans votre bière, c’est assez simple. Partez du nombre 100, soustrayez-y le titrage alcoolique et vous obtenez à peu de chose près le volume d’eau présent dans votre bière. Ainsi, dans une bière à 6%, vous buvez environ 94% d’eau ! Mais il ne s’agit pas là de la seule utilisation de l’eau, loin s’en faut. 

En effet, lorsqu’une bière est brassée, environ ¾ du volume d’eau utilisé est perdu. Cette évaporation est due en grande partie à l’ébullition. Mais le gaspillage ne s’arrête pas là. 

En effet, la plus grande partie du volume d’eau perdu n’a que peu à voir avec le processus de brassage lui-même.

Reprenons tous ces postes de dépense dans l’ordre chronologique pour produire une bière :

  • L’eau est parfois utilisée pour l’irrigation des champs d’orge et, plus rarement, de houblon. 
  • De l’eau est nécessaire dans le processus de maltage. Notamment lors de l’étape que l’on appelle « la trempe » qui consiste à humidifier les grains pour faciliter la germination. 
  • De l’eau est utilisée pour fabriquer les contenants ou les recycler. Le verre surtout, demande l’usage d’une grande quantité d’eau. 
  • L’eau utile au processus de brassage, que nous venons d’évoquer
  • L’eau nécessaire au nettoyage des bouteilles, des cuves et du matériel. 
  • La quantité d’eau exploitée pour les emballages, notamment le carton. 

La bière, bon ou mauvais élève en matière de gaspillage ?  

Tout d’abord, un point sémantique : nous parlerons ici d’eau virtuelle, puisque c’est souvent elle qui est prise en considération dans les différentes analyses. De quoi s’agit-il ? Tout simplement de la quantité d’eau totale nécessaire pour produire un litre d’une boisson : culture, transport, packaging et nettoyage compris. En bref toutes les étapes citées précédemment. 

Situons maintenant la bière sur cette question dans un contexte plus global. La production d’un litre de bière nécessite en moyenne l’utilisation de 298 litres d’eau virtuelle contre 872 litres pour le vin (soit presque 3 fois plus) et 1020 pour le lait (soit plus du triple). Des chiffres assez hallucinants… Si l’on sort du concept d’eau virtuelle et qu’on ne prend en compte que le volume d’eau utilisé par le producteur pour créer un litre de produit fini, on obtient les moyennes suivantes :

  • 5 litres d’eau pour un litre de bière
  • 3,8 litres d’eau pour un litre de vin
  • 7 litres pour un litre de whisky

La bière fait donc plutôt figure de bon élève. Pour quelles raisons ? 

Les spiritueux nécessitent plusieurs processus assez consommateurs en matière d’eau, au premier rang desquels la distillation, qui consiste à faire chauffer un volume de liquide fermenté dans le but de créer une évaporation. Le problème, c’est que ce processus de chauffage se fait par bain marie : donc à l’aide d’un volume d’eau important. Par la suite, une fois que le mélange est porté à 78,5°C – soit la température d’ébullition de l’alcool – un processus de refroidissement nécessitant beaucoup d’eau entre en action.

Pour le vin, autre explication : c’est la culture de la vigne qui fait grimper la facture. D’autant que la vigne est une plante particulièrement gourmande en eau mais aussi, malheureusement, en pesticides et fongicides qui nécessitent, eux aussi, l’usage de l’eau de façon intensive. La bière, elle, est relativement moins dépendante en eau par rapport à la majorité des autres alcools pour plusieurs raisons : 

  1. Parce qu’une grande partie des bières consommées le sont en fût, ce qui a pour conséquence de réduire la production d’emballage et le nettoyage de contenants, et donc l’utilisation d’eau. 
  2. Parce que même si la bière est constituée à 95% d’eau, les matières premières nécessaire au brassage comme le houblon et l’orge, même en tenant compte du processus de maltage, sont moins gourmandes en eau que le raisin, la canne à sucre ou la pomme de terre. 
  3. Parce que la bière ne nécessite pas de distillation, processus qui consomme énormément d’eau, comme expliqué plus haut.

Pour autant, on ne peut pas se satisfaire des chiffres actuels, à une époque où, rappelons-le, 2,2 milliards d’humains n’ont toujours pas accès à l’eau potable selon l’UNICEF. 

Les acteurs de la filière sont-ils sensibles au sujet ? 

Quelques brasseries ont fait de la réduction de leur consommation d’eau leur cheval de bataille. Le syndicat Brasseurs de France donne un chiffre intéressant à ce sujet : en France, l’utilisation de l’eau pour produire de la bière a baissé de 40% depuis 1990. Une indice qui tend à prouver que la plupart des brasseries ont pris le sujet au sérieux.

Les groupes industriels, notamment, peuvent se targuer de proposer des bières bien moins coûteuses en matière de dépense d’eau. Prenons l’exemple de la brasserie Kronenbourg, qui avec ses 7 millions d’hectolitres annuels de bière produite, est la plus grande de France. Si cette dernière n’est évidemment pas irréprochable dans tous les domaines, elle a le mérite de travailler à la réduction de l’utilisation de ses volumes d’eau depuis quelques années. Ainsi, elle n’utilise « que » 3,5 litres d’eau pour 1 litre de bière.

C’est 3,9 litres du côté de Heineken France et de ses trois sites de production pendant que l’on estime le volume d’eau utilisé par un brasseur artisanal pour produire un litre à environ… 10 litres d’eau. Rien de surprenant toutefois, la raison de ces écarts se situant à deux niveaux : les économies d’échelle et les investissements massifs permettant l’optimisation des équipements. Ainsi, il est fréquent que les grandes brasseries soient équipées de stations de retraitement de l’eau, permettant le réemploi d’une partie de l’eau utilisée. 

Les petits producteurs ne sont pour autant pas moins sensibles au sujet. En effet, de nombreux brasseurs artisanaux réutilisent une partie de l’eau. Yann Charlier, par exemple, de la brasserie-distillerie Charlier & Fils située à côté de Charleville-Mézières, nous indique que c’est souvent le cas de l’eau nécessaire au refroidissement du moût, qui est ensuite réemployée. Plutôt que de jeter cette eau, qui dans l’absolu ne servait qu’à refroidir le moût après l’ébullition, les micro-brasseries réutilisent l’eau pour l’empattage des brassins suivants. La brasserie Tandem quant à elle, installée à côté de Lille, va investir entre 10 et 15 000€ dans une station CIP.

Eymeric Segard, propriétaire de la brasserie, explique de quoi il s’agit : « Aujourd’hui, nous jetons l’eau de nettoyage et de rinçage de nos cuves après chaque brassin. Cet outil va nous permettre de réutiliser cette solution de nettoyage 5 à 7 fois avant de la jeter, ce qui nous permettra de réduire d’autant notre empreinte en eau. »

Ailleurs en France, de nombreuses bonnes initiatives existent et se multiplient. Citons la brasserie du Mont Blanc (73), la brasserie Météor (67) ou la brasserie Saint-Sylvestre (59) qui depuis le milieu des années 2010 multiplient les actions pour réduire le gaspillage de l’eau. Parmi celles-ci, on retrouve par exemple :

  • Le choix d’équipements économes en eau ;
  • L’installation de compteurs d’eau placés aux endroits stratégiques ;
  • La mise en place de capteurs placés à différents stades du processus de fabrication pour réduire les temps de rinçage ;
  • Le nettoyage automatique des installations et la formations des salariés au nettoyage. Le brossage est ainsi préféré au jet haut pression ;
  • La récupération des vapeurs de l’ébullition du moût pour chauffer l’eau ;
  • Ou enfin, au niveau du brassage, la récupération de l’eau servant au refroidissement du moût pour les brassins suivants. 

Et à l’étranger ? 

A l’étranger aussi, de nombreuses initiatives ont vu le jour, notamment ces dix dernières années. Les États-Unis en tête où plus de 6 500 brasseries se partagent le marché. En 2017, une ONG nommée Ceres (Coallition for Environmentally Responsible Economies) et spécialisée dans la sensibilisation aux démarches écologiques auprès des entreprises, a établi une charte à destination des brasseurs. Cette charte accorde une large part à la gestion de l’utilisation de l’eau et invite les acteurs de la filière à en réduire drastiquement leur consommation.  Suivie par plusieurs centaines de brasseries américaines (Sierra Nevada’s Brewery, New Belgium, Stone, Upslope Brewing…), elle propose quelques idées pour freiner et diminuer la quantité d’eau utilisée pour brasser. 

Parmi elles : 

  • Recycler l’eau à l’intérieur même des brasseries en créant des stations d’épuration sur site.
  • Veiller à utiliser les bonnes quantités pour le nettoyage à l’aide de guides pratiques et d’une sensibilisation dispensée par l’ONG auprès des brasseurs. 
  • Produire plusieurs brassins en réemployant l’eau au maximum. L’eau nécessaire au refroidissement sera par exemple réutilisée ensuite pour le prochain empattage. 

Autant d’idées écolos, et économes ! La brasserie Declaration Brewing, basée à Denver dans le Colorado, affirme ainsi que toutes les économies liées à une meilleure gestion de l’eau, de l’électricité et des déchets ont permis de rembourser leurs emprunts en un an ! Plus proche de chez nous, la brasserie néerlandaise De Prael, basée à Amsterdam, pousse l’initiative encore plus loin en brassant avec l’eau de pluie récoltée sur les toits de la brasserie. Après une filtration et une ébullition pour ôter les impuretés l’eau est utilisée pour l’empattage. En Suède, Carlsberg a lancé en 2018 une bière nommée Pu:Rest. Cette dernière est brassée avec l’eau usée retraitée. 

Bref, on le voit, la filière brassicole part de très loin concernant son empreinte-eau avec une moyenne de 5 litres d’eau nécessaires à la production d’un litre de produit fini, sans même prendre en compte l’eau virtuelle. Pour autant, l’ensemble de la filière a désormais conscience du problème et de nombreux brasseurs, à proportion de leurs moyens, mettent en place des bonnes pratiques dans leur gestion quotidienne. Pour poursuivre cet effort, les consommateurs peuvent eux aussi s’impliquer de façon simple. Par exemple, lorsque vous jettez à l’évier un fond de bouteille de 10cl de bière, en prenant le calcul de l’eau virtuelle, dites-vous que vous gaspillez en réalité… près de 30 litres d’eau !

Sources :

https://www.ceres.org

https://cagnes.maville.com/actu/actudet_-les-brasseurs-us-s-inquietent-pour-l-eau_fil-3567292_actu.Htm

https://www.franceinter.fr/emissions/l-esprit-d-initiative/l-esprit-d-initiative-25-octobre-2018

http://www.economiematin.fr/news-journee-mondiale-eau-consommation-economie-industrie-travail-consequences

https://observers.france24.com/fr/20080915–75-litres-emprunte-eau-environnement-wwf

https://www.unicef.fr/article/21-milliards-de-personnes-n-ont-pas-acces-l-eau-potable-salubre

https://www.bieremasterclass.fr/kronenbourg-brassins-1000-hectolitres/

http://les.cahiers-developpement-durable.be/outils/eau-virtuelle-et-empreinte-aquatique/

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